Le spectateur est-il réceptif aux micro-expressions dans les tableaux des Maîtres ? Y a-t-il des micro-expressions qui lui sautent aux yeux lorsqu’il regarde les personnages d’un tableau au musée ? regarde-t-il le tableau, en se disant « c’est beau ! » par convention, sans ressentir la moindre émotion ? Est-ce que le peintre décide des émotions qu’il veut provoquer chez le spectateur ?
Toutes ces questions se résument en une seule : le spectateur est-il manipulé ?
Micro-expressions et langage corporel : de quoi s’agit-il ?
Certains d’entre nous parviennent à capter les micro-expressions, car ils ont développé leur sens de l’observation. Et comme tout, ce sens de l’observation se travaille.
Vous pouvez observer les micro-expressions de Bill Clinton lorsqu’il ment au sujet de sa liaison avec Monica Lewinsky. La commissure de ses lèvres pointe vers le bas.
Personnellement, je savais instantanément lorsque mon fils me mentait concernant ses notes à l’école. Il a d’ailleurs toujours la même micro-expression. C’est l’avantage de savoir dessiner, vous développez vos capacités d’observation et vous vous rendez compte lorsqu’on essaie de vous mentir.
Il s’agit d’infinitésimales expressions (tristesse, colère, joie, mépris, dégoût, peur ou surprise) qui apparaissent lorsqu’un individu ressent une émotion forte qu’il essaie de cacher et qu’il laisse échapper à son insu.
On ne peut déchiffrer le comportement de la personne qui parle et identifier ses mensonges ou son mal-être, que si on est aguerri.
En effet, le corps et le visage parlent et donnent de précieux indices sur les intentions de la personne. On peut percevoir l’autre grâce à un « cluster » de signes qui peuvent être le regard, les lèvres, la posture, la position des jambes (croisées ou non), la direction des pieds s’ils pointent vers la porte…
Micro-expressions dans le tableau de Giovanni Lanfranco
Dans le tableau ci-dessous, le regard en coin du jeune homme, son demi-sourire, ainsi que son corps contorsionné avec sa main tendue qui caresse le chat sont les signes d’une invitation à des plaisirs interdits. Ces signes sont même plus explicites que le corps dénudé et les parties sexuelles simplement recouvertes d’un tout petit bout de linge.
Dans cette oeuvre, le peintre Giovanni Lanfranco veut nous raconter l’atmosphère de débauche qui règne à Rome. Il prend ses distances avec la Vénus allongée, favorite des Vénitiens à l’époque, en peignant un éphèbe lascif.
Tout est fait pour qu’on ressente la provocation qui émane du visage et du corps du jeune homme. D’autre part, l’environnement dont le lit est peu mis en avant. La micro-expression du jeune homme se trouve dans son furtif sourire en coin et dans son regard équivoque dirigé vers le spectateur. C’est une image homoérotique.
On perçoit cette même invite au plaisir dans l’Olympia de Manet bien plus tard. C’est pour cela que les tableaux sont si fascinants. Le peintre vous emmène là où il veut, lui. Et vous, spectateur, vous le suivez inconsciemment. Dans une oeuvre d’art, rien n’est laissé au hasard.
Ne croyez pas que vous allez là où vous voulez. Tout est fait pour que votre regard aille d’abord directement à certains endroits bien définis, pour aller ensuite vers d’autres endroits. Et ceci afin de vous faire ressentir une chose bien précise.
Micro-expressions dans le tableau de Georges de La Tour
En regardant avec attention le tableau de Georges de La Tour « Le Tricheur à l’as de carreau », on s’aperçoit que les trois personnages réunis autour de la table communiquent à travers des coups d’oeil échangés et des gestes sobres. Tout cela en silence.
Dans ce tableau, aucune indication n’est donnée sur le lieu de la scène. Le fond est délibérément sombre pour focaliser l’attention sur les expressions des personnages. La courtisane aux mains dodues a un regard en coin froid et calculateur. Ses lèvres sont serrées et les commissures vont légèrement vers le bas, laissant soupçonner un certain mépris pour le jeune homme au chapeau. Le regard de la servante est plus curieux, reflétant sans doute plus d’intérêt.
Quant au tricheur, c’est le seul à regarder en face le spectateur, faisant de lui son complice. On dit que c’est Latour qui s’est peint lui-même devant un miroir… Le tricheur est penché vers l’avant et s’appuie sur son coude fortement. Sa cage thoracique est gonflée, une posture de domination que l’on remarque chez les joueurs de poker qui veulent dominer la tablée.
Par ailleurs, les micro-expressions et le langage du corps sont un enjeu majeur au poker. Il faut faire ressentir à ses adversaires qu’on est le dominant, leur faire peur en quelque sorte. Et c’est bien pour cela que certains joueurs portent des lunettes noires, pour désarçonner l’adversaire.
Mais pour en revenir au tableau, on sent une grande énergie qui se dégage du tricheur qui remplit l’espace. Les sourcils relevés expriment la surprise ou la peur. La micro-expression de la surprise est présente, mais est-elle simulée ou pas ? En tout cas, elle ne dure pas…
Son front est ridé sous la tension du futur méfait (prendre l’argent du jeune homme face à lui). Les rides sont bien marquées. On peut même les compter, elles sont au nombre de quatre. Le tricheur est plutôt jeune, il ne devrait donc pas avoir ces rides. Elles ne sont là que parce que La Tour a bien voulu porter l’attention du spectateur sur elles.
Le visage de la proie, quant à lui, ne montre rien à part une grande concentration. Il a le regard fixé sur ses cartes.
Que s’est-il donc passé juste avant ? Nous sommes ici dans un monde silencieux, mais où l’on ressent une grande tension.
Les personnages sont malheureusement représentés à mi-corps. On ne voit qu’une partie de leurs attitudes corporelles. Nous ne voyons ni la direction des pieds ni la position des jambes qui sont de précieux indicateurs pour déchiffrer les pensées. Le corps ne ment pas…
Apprenez à capter les micro-expressions
Les historiens d’art racontent l’histoire du tableau de Maître. Ils tentent de le décoder historiquement, mais s’attachent rarement à décrypter le langage corporel et les micro-expressions. Ceci prend moins d’une demi-seconde, mais livre le monde émotionnel du héros du tableau. Je mets donc un point d’honneur à m’attarder sur ces micro-expressions du visage et le langage corporel qui sont souvent laissés de côté dans l’analyse des tableaux de Maître.
C’est cela que je partage avec vous avant de nous lancer dans le dessin des personnages. Nous procédons à une analyse du tableau de Maître, des micro-expressions et du langage corporel avant d’aborder le dessin en lui-même.
La Tour était sans doute à la fois joueur et peintre. Il a parfaitement capté tous ces signes rattachés aux joueurs et a su les restituer avec maestria. Son sens de l’observation s’est développé à l’extrême. À tel point qu’il arrive à restituer au niveau du dessin et de la peinture ces micro-expressions qui nous proviennent du cerveau reptilien, cerveau des instincts de base, si difficilement reconnaissables.
En vous entraînant au dessin, vous pouvez vous aussi développer votre sens de l’observation. Vous apprendrez à décoder les sentiments d’un interlocuteur pour avoir une meilleure empathie pour votre entourage. Le dessin est en effet une discipline pleine de surprises. Avec le temps, en développant cette faculté, on devient même un véritable Sherlock Holmes ou un expert des émotions.
Avec un dessin, on décide subtilement des émotions que l’on veut provoquer chez le spectateur. Il ne s’agit pas de copier servilement la réalité, mais de décider à l’avance d’une direction. Il est nécessaire de bien réfléchir avant de se lancer dans un dessin. Ceci afin de mettre les points importants en valeur, que ce soit le langage du corps ou les micro-expressions.
Venez avec moi au Louvre. Je vous fais découvrir des tableaux amusants et, en plus, vous allez parfaire votre culture et prendre confiance en vous en dessinant. Vous ne vous ferez plus manipuler !
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